Le concerto - Résumé

Nous sommes à Venise, au XVIè siècle.

Les premiers indices d’un changement se perçoivent dans les œuvres à double-chœur d’Adriaan Willaert, maître de chapelle de la basilique Saint-Marc de Venise. On trouve dans sa musique des éléments d’espace, de contraste et des effets d’écho.

Ecoutez Credidi, propter quod locutus sum, psaume 115, une œuvre pour double chœur d'Adriaan Willaert.

Avec Willaert, et grâce à l’architecture de la basilique Saint-Marc, on assistait à une spatialisation de la musique, en plaçant par exemple dans un transept un ensemble vocal, et à un autre endroit, d’autres chanteurs. Le terme employé en Italien était : cori spezzati, c’est-à-dire « morceaux de chœurs ».

Le colla parte c’est-à-dire la doublure ou la substitution des voix chantées par les instruments, procédé typique de la Renaissance va disparaître.

Ecoutez Angelus Domini à huit voix extrait des Sacrae Symphoniae de 1597 de Giovanni Gabrieli, une œuvre pour pour double chœur.

Cette combinaison de voix et d’instruments apparaît sous le nom de concertato ou concerto.
Le mot vient probablement du verbe concertare, concourir ou concurrencer. On le rencontre sporadiquement tout au long du XVIè siècle, mais c’est en 1587 qu’il est écrit clairement : concerti per voci e stromenti d’Andrea et Givanni Gabrieli.

Ecoutez le Concerto di dui Angioletti in dialogo, extrait des Nuovi pensieri ecclesiastici, Libro III, opus 35, qui date de 1613, d’Adriano Banchieri.


L a facture instrumentale connut un essor formidable ! Dès 1600, les violons fabriqués à Crémone par les Amati étaient célèbres, et les compositeurs se passionnaient pour cet instrument capable de rivaliser avec la voix humaine.

Et l’apport de Girolamo Frescobaldi n’est pas des moindres. Ce virtuose du clavier qui a passé trente ans au clavier de l’orgue de la basilique Saint-Pierre de Rome, est le premier à indiquer avec autant de clarté la coupe en trois mouvements contrastés, qui permettra à la sonate de se constituer.

Ecoutez une Canzone de Girolamo Frescobaldi, écrite en 1637.


Johann Hermann Schein (1586-1630), l’un des plus éminents prédecesseurs de Jean-Sébastien Bach à Saint-Thomas de Leipzig (Allemagne), use des procédés italiens tout en y incluant le choral.
Johann Hermann Schein fut parmi les premiers à adhérer avec enthousiasme à ces techniques de compositions, bien qu’il n’ait pas été à Venise comme avait pu le faire son ami Heinrich Schütz. Mais il faut dire que ce répertoire « moderne » italien était déjà largement diffusé en Allemagne.

Schein a ajouté à ses madrigaux rassemblés dans Israelis Brünnlein, une indication d’interprétation, à savoir « auf einer italian madrigalische Manier », à la manière des madrigaux italiens.

Ecoutez Nu danket alle Gott extrait du Israelis Brünnlein de Johann Hermann Schein écrit autour des années 1620.

Tout le XVIIè siècle devient le théâtre d’un impressionnant échange d’idées, d’adaptations et de découvertes. L’Europe entière est touchée par la magie italienne et le « style-concertato » s’impose tout naturellement.


Retournons en Italie, mais à Bologne, cette fois. Nous y rencontrerons dans la deuxième moitié du XVII siècle les deux plus grands maîtres de l’école instrumentale : Arcangelo Corelli (1653-1713) et Giuseppe Torelli (1658-1709).

Corelli a écrit de nombreuses sonates d’église en trio, de chambre et douze célèbres Concerti Grossi.

On y trouve clairement le principe de contraste qui s’attachera désormais à toute la littérature concertante, à savoir, l’opposition entre le concertino, c’est-à-dire le groupe de trois solistes (deux violons et un violoncelle, souvent appuyés par un clavecin) et l’ensemble de l’orchestre, ripieno ou tutti.

Ecoutez le 3° des 6 mouvements du Concerto grosso n°8 en sol mineur « Pour la nuit de Noël », écrit vers 1690 par Arcangelo Corelli.


La popularité du concerto perdura durant toute la période baroque, les derniers exemples importants étant les six Concertos Brandebourgeois de Bach.

Ecoutez le troisième et dernier mouvement du Concerto brandebourgeois N°6, BWV 1051, en si bémol majeur, de Jean-Sébastien Bach.

Du concerto grosso naquit une sous-catégorie, le concerto soliste, dans lequel le concertino fut remplacé par un instrument en solo unique, ce qui accrut le contraste entre le soliste et l'orchestre.

Les plus célèbres sont ceux du compositeur italien Antonio Vivaldi. Un nombre croissant d'instrumentistes virtuoses, notamment les violonistes, exploitèrent le concerto soliste pour illustrer leur talent.

Ecoutez le deuxième mouvement du Concerto en Do majeur pour flûte soprano et orchestre d’Antonio Vivaldi.


Le changement musical décisif qui vit le passage du baroque au classicisme, au milieu du XVIIIe siècle, devait inévitablement rejaillir sur le concerto. Hormis une variante française appelée la symphonie concertante, le concerto grosso disparut au profit de la symphonie, qui en avait adopté de nombreuses caractéristiques.

La Symphonie concertante est une forme concertante car elle est écrite pour un ou plusieurs solistes et un orchestre.
Mais c'est aussi une forme symphonique car les parties du ou des solistes ne sont pas en opposition ou en conflit avec l'orchestre, de sorte que l’œuvre sonne comme une symphonie avec des passages solo.

Durant la période classique, la durée du concerto s'allongea. Sa forme était calquée essentiellement sur la sonate, à cette différence près que l'instrument soliste et l'orchestre jouaient ensemble ou en alternance. Le dernier mouvement était en général un rondo dans lequel le soliste jouait un refrain récurrent. Les mouvements lents avaient une forme moins définie. À l'instar des symphonies, les concertos devinrent de grandes œuvres très différenciées, destinés à être exécutées dans une salle de concert et devant un vaste public.

Ecoutez le premier mouvement du deuxième Concerto pour piano de Ludwig Van Beethoven.

À partir de 1820 environ, quelques compositeurs écrivirent un petit nombre de concertos, généralement destinés à un interprète particulier. La virtuosité prodigieuse du violoniste italien Nicolò Paganini, puis celle du pianiste compositeur hongrois Franz Liszt, contribuèrent à l'établissement du mythe du virtuose génial.

D'importants concertos, la plupart pour piano et violon, furent écrits par Liszt et par les compositeurs allemands Carl Maria von Weber, Felix Mendelssohn, Robert Schumann et Johannes Brahms, ou Edvard Grieg, Frédéric Chopin et Piotr Ilitch Tchaïkovski. Le plan général des trois mouvements ainsi que la forme interne de ces concertos témoignent d'une grande originalité, même s'ils restaient symphoniques par essence.
Le solo et l'orchestre furent presque toujours traités de manières opposées, qui aboutissaient à une synthèse finale. Ceci reflète l'opposition et la synthèse tonales qui constituent le cœur de la forme sonate.

Ecoutez un extrait du dernier mouvement du premier Concerto pour piano et orchestre de Frédéric Chopin.

Face aux approches musicales radicalement nouvelles du début du XXe siècle, le concerto symphonique virtuose sembla dépassé à de nombreux compositeurs, même si quelques solistes, généralement des pianistes ou des violonistes, continuèrent à inspirer des auteurs comme Arnold Schoenberg, Alban Berg, Anton Webern, Paul Hindemith, Béla Bartók et le Russe Igor Stravinski.

Toutefois, ces auteurs envisageaient leurs œuvres comme un problème formel, et si l'on découvre souvent dans celles-ci l'influence des styles plus anciens, il est rare qu'elles s'y conforment fidèlement. Un regain d'intérêt pour les sons clairs et contrastés ainsi que pour l'écriture contrapuntique remirent au goût du jour l'ancien concerto grosso (tendance manifeste, par exemple, dans le concerto de chambre de Berg pour piano et violon solistes, ainsi que dans le concerto Ebony de Stravinski, écrit pour l'orchestre de jazz de Woody Herman).

Ecoutez le deuxième mouvement du Ebony concerto d’Igor Stravinsky, écrit pour Woody Herman et son orchestre de jazz.

Au Xxè siècle, le concerto ne suit plus de courant esthétique commun. Son langage se diversifie considérablement. Certains compositeurs oscillent entre néo-classicisme, néo-romantisme, influencés ou non par le jazz, comme Rachmaninov, Ravel, Poulenc, Prokofiev, Chostakovitch ou Gershwin, par exemple, d’autres fondent leur propre langage, comme Messian et Schönberg, ainsi que toute une génération de chercheurs du son, tels Ligeti, Boulez, Stockhausen ou Xenakis.

Ecoutez le début de Synaphaï, Concerto pour piano et orchestre d’Iannis Xenakis, une œuvre qui date de 1969.