le menuet

L’histoire du menuet présente quatre grandes étapes : sa naissance au XVIe siècle, son heure de gloire au XVII e siècle, son évolution dans un style galant au XVIIIe siècle, et sa quasi disparition au XIXe.

Première partie

Le menuet est une danse à trois temps, d’un tempo rapide au début de son histoire à modéré à l’époque de Lully. Les pas de cette danse étaient menus, d’où son nom, vraisemblablement. S’il n’existe pas de menuet type, ils se ressemblent pourtant tous, et sont donc facilement reconnaissables à l’oreille. Le caractère dansant apparaît en premier lieu, mais également l’esprit léger et simple qui contraste avec les danses ou les mouvements qui l’entourent.
La paternité du menuet pourrait aisément être attribuée à Jean-Baptiste Lully d’une part, puisque c’est lui qui le banalisera dans ses ballets, et au Roi Soleil d’autre part, puisque c’était une de ses danses préférées. Or, si le Roi aime le menuet, la cour le danse aussi.

Ecouter le menuet de la scène 3 de l’acte V d’Acide, de Marin Marais,
élève de Lully et compositeur de Louis XIV.


C’est en effet à la cour du Roi Soleil que le menuet vit ses heures de gloire. Il est alors identifié, sa forme, sa mesure, son tempo et son caractère sont établis.
Mais il n’est pas né de nulle part. En effet, si l’on est moins sûrs aujourd’hui, il est cependant probable que le menuet descende d’une danse du Moyen Age, à savoir, le branle.

Le branle est une danse paysanne qui remonte au Moyen Age et qui s’effectue en cercle ou en chaîne. Il est souvent représenté en peinture par des bergers autour d’un arbre au mois de mai.
Afin d’essayer de comprendre la métamorphose, écoutons quelques branles. Nous commencerons par un branle simple interprété à la flûte par William Lyons et au luth par Jacob Heringman.
Ecouter ce branle :

L’esprit dansant, léger, au tempo modéré de ce branle simple est effectivement une caractéristique semblable au menuet. Mais la mesure ni la forme ne s’en rapprochent. La mesure est en effet binaire, ce qui est contraire à l’esprit du menuet. Il faut pour cela se rendre dans la région du Poitou, qui, comme d’autres régions de France, propose un Branle typique.

Ecouter un Branle Gay du Poitou, avec Gary Cooper à l’épinette.


Dans cette écoute, le menuet est tout inscrit par le caractère et la mesure.
Ajoutons-y le Branle à mener, qui pourrait lui aussi être à l’origine du menuet de par son qualificatif « à mener », « menuet », et tous les ingrédients sont présents pour la naissance du menuet.

Ecouter un branle à mener extrait du Manuscrit de Cassel datant des années 1665.


Mais comparons les deux œuvres suivantes, un Branle Gay issu du même manuscrit et par les mêmes interprètes, avec un menuet extrait d’Acis et Galatée de Lully, sensiblement de la même époque, par les musiciens du Louvre, sous la direction de Marc Minkowski. La ressemblance est éloquente.

Le Branle Gay :

Le menuet de Lully :


Le coup d’envoi est donné. Le menuet connaît à la cour du Roi un tel succès, qu’il demeure indispensable à la réussite d’un opéra-ballet. On le trouve partout, dans les ballets, dans les opéras et les Suites de danse.
Et pour clore ce chapitre, écoutez le menuet de Madame la Duchesse de Bourgogne d’André Danican Philidor tiré de sa Suite de danses datant de 1699.


Quel élève instrumentiste n’a pas joué de Menuet lors de ses études ?
Jean-Sébastien Bach ne se lasse pas d’en écrire. Le petit livre d’Anna Magdalena Bach en est plein, tous les pianistes s’en souviennent. Mais chez Jean-Sébastien Bach, c’est dans la Suite qu’il a une place de choix.


Ecouter le menuet de la deuxième Suite en si mineur BWV 1067 de Jean-Sébastien Bach.


Les compositeurs passent, mais le menuet demeure. Au milieu du XVIIIe siècle, le menuet trouve tout naturellement une place dans un style que l’on appelle galant.

Il est présent dans nombreux quatuors et symphonies, notamment à Vienne, chez le jeune Haydn ou Luigi Boccherini, par exemple.

Ecouter le Quintet n°5 en Ré Majeur G.449 de Luigi Boccherini.

Deuxième partie

Mais la Révolution française annonce le déclin du menuet. Si le menuet est lié à la cour, à la noblesse, il est guillotiné lui aussi. Et les derniers menuets saluent tristement le monde musical.
Tout va très vite. Le tempo du menuet s’accélère et ce dernier cède sa place à un cousin plus dynamique : le scherzo. Le menuet n’est plus dansé et fuit la mémoire des musiciens. Beethoven n’a que faire d’un menuet précieux alors que sa musique déchaîne les passions. Sa première symphonie en propose un, qui n’a pourtant plus rien du menuet, puisqu’il est aussi rapide qu’un scherzo.

Ecouter le menuet de la première symphonie de Beethoven.
Le cap est franchi avec la deuxième symphonie, qui propose alors un scherzo à la place.

Troisième partie


La grande période du XIXe siècle ignora le menuet. Il n’apparaît que très épisodiquement, ayant disparu des symphonie et des sonates. Citons tout de même Berlioz, Meyerber et Verdi, qui exceptionnellement en ont écrit l’un ou l’autre. Pour avoir un aperçu de cette triste réalité, lisons une page de Guy de Maupassant.
Le récit en question est intitulé « Menuet », et est destiné à Paul Bourget.
Jean Bridelle, le narrateur, dit :
J'ai toujours devant les yeux deux ou trois choses que d'autres n'eussent point remarquées assurément, et qui sont entrées en moi comme de longues et minces piqûres inguérissables.
J'ai cinquante ans. J'étais jeune alors et j'étudiais le droit. Je me levais tôt ; et une de mes plus chères voluptés était de me promener seul, vers huit heures du matin, dans la pépinière du Luxembourg.
C'était comme un jardin oublié de l'autre siècle, un jardin joli comme un doux sourire de vieille.
Je venais là presque tous les matins. Je m'asseyais sur un banc et je lisais.
Mais je m'aperçus bientôt que je n'étais pas seul à fréquenter ce lieu dès l'ouverture des barrières, et je rencontrais parfois, nez à nez, au coin d'un massif, un étrange petit vieillard.
Et voilà qu'un matin, comme il se croyait bien seul, il se mit à faire des mouvements singuliers : quelques petits bonds d'abord, puis une révérence ; puis il battit, de sa jambe grêle, un entrechat encore alerte, puis il commença à pivoter galamment, sautillant, se trémoussant d'une façon drôle, souriant comme devant un public, faisant des grâces, arrondissant les bras, tortillant son pauvre corps de marionnette, adressant dans le vide de légers saluts attendrissants et ridicules. Il dansait !
Je demeurais pétrifié d'étonnement, me demandant lequel des deux était fou, lui, ou moi.
Mais il s'arrêta soudain, s'avança comme font les acteurs sur la scène, puis s'inclina en reculant avec des sourires gracieux et des baisers de comédienne qu'il jetait de sa main tremblante aux deux rangées d'arbres taillés.
Et il reprit avec gravité sa promenade.
Une envie folle me prit de lui parler. Je me risquai, et, l'ayant salué, je lui dis :
- Il fait bien bon aujourd'hui, Monsieur.
Il s'inclina.
- Oui, Monsieur, c'est un vrai temps de jadis.
Huit jours après, nous étions amis, et je connus son histoire.
Il avait été maître de danse à l'Opéra, du temps du roi Louis XV. Sa belle canne était un cadeau du comte de Clermont. Et, quand on lui parlait de danse, il ne s'arrêtait plus de bavarder.
Dès que j'eus fini de déjeuner, je retournai au Luxembourg, et bientôt j'aperçus mon ami qui donnait le bras avec cérémonie à une toute vieille femme vêtue de noir, et à qui je fus présenté. C'était la Castris, la grande danseuse aimée des princes, aimée du roi, aimée de tout ce siècle galant qui semble avoir laissé dans le monde une odeur d'amour.
- Expliquez-moi donc, dis-je au vieux danseur, ce que c'était que le menuet ?
Il tressaillit.
- Le menuet, Monsieur, c'est la reine des danses, et la danse des Reines, entendez-vous ? Depuis qu'il n'y a plus de Rois, il n'y a plus de menuet.
Et soudain, se tournant vers son antique compagne, toujours silencieuse et grave :
- Elise, veux-tu, dis, veux-tu, tu seras bien gentille, veux-tu que nous montrions à ce monsieur ce que c'était ?
Elle tourna ses yeux inquiets de tous les côtés, puis se leva sans dire un mot et vint se placer en face de lui.
Alors je vis une chose inoubliable.
Ils allaient et venaient avec des simagrées enfantines, se souriaient, se balançaient, s'inclinaient, sautillaient pareils à deux vieilles poupées qu'aurait fait danser une mécanique ancienne, un peu brisée, construite jadis par un ouvrier fort habile, suivant la manière de son temps.
Et je les regardais, le coeur troublé de sensations extraordinaires, l'âme émue d'une indicible mélancolie. Il me semblait voir une apparition lamentable et comique, l'ombre démodée d'un siècle. J'avais envie de rire et besoin de pleurer.
Tout à coup ils s'arrêtèrent, ils avaient terminé les figures de la danse. Pendant quelques secondes ils restèrent debout l'un devant l'autre, grimaçant d'une façon surprenante ; puis ils s'embrassèrent en sanglotant.


Dans un cadre très particulier, Berlioz écrit un menuet dans la 3ème partie de La Damnation de Faust. Il fait suite à l’invocation de Méphistophélès aux follets de venir ensorceler Marguerite avant sa rencontre avec Faust. Chef d’œuvre d’ironie musicale et tour de force d’instrumentation, ce menuet est sans doute l’un des plus originaux jamais écrits.
Mais là, Berlioz tourne le menuet en parodie diabolique. S’il fait appel au menuet à ce moment de l’opéra, c’est parce que celui-ci appartient à l’Ancien Régime, parce qu’il est désuet, ce qui renforce le caractère humoristique de cette pièce.
Après un début d’apparence normale, la musique s’égare dans des directions inattendues, s’arrête et puis repart, explose subitement et se calme aussitôt comme si de rien n’était. Des dièses imprévus défigurent le thème original. Puis juste quand la musique semble sur le point de s’endormir, les petites flûtes, flûte et hautbois se lancent à une vitesse vertigineuse dans une anticipation de la sérénade de Méphistophélès. Le menuet essaie de se faire entendre à nouveau mais est écarté sans façon, et la musique s’évapore dans un trille énigmatique des violons.
L'écouter : Nous sommes à présent à Venise en 1851. Verdi crée Rigoletto. Et là encore, c’est au bal à la cour du Duc de Mantoue que nous emmène ce menuet. Le duc vante les beauté de la comtesse Ceprano et chante une ballade sur se amours éphémères, « Questa o quella per me pari sono », et sur la scène, les musiciens jouent des airs de danse, la périgourdine à 6/8, et en arrière plan le menuet à 3/4.
Ecouter ce menuet :

Quatrième partie

Si le menuet est rare au XIXe siècle, il est quasi absent au XXe siècle. En fait, la présence du menuet chez les compositeurs du XXe siècle est subordonnée, soit à une référence au passé, soit à un fantaisie, soit à une originalité. Ainsi, Debussy écrit une Suite bergamasque pour piano. Or qui dit Suite, dit menuet.
Ecouter ce menuet de Debussy :


Ravel, quant à lui rend hommage à Couperin. La référence est claire pour évoquer le symbole de l’époque baroque. Ravel écrit donc un menuet pour la composition du Tombeau de Couperin.
Ecouter ce menuet de Ravel :


Serge Prokovief a écrit un seul et unique menuet pour le piano. Dans cette œuvre, on retrouve le caractère dansant de ses origines. Ecouter le menuet opus 32 de Prokovief.

Il est possible, également d’imiter le style d’une époque. C’est bien ce que l’on entend avec ce menuet en sol, op14 n°1 du XXe siècle composé et joué par Paderewski. L'écouter :


Dans cette même optique, Josef Suk écrit en 1900, une Suite pour violoncelle et piano opus 212. Il y inclut un menuet qui rappelle le style de l’époque de Haydn.
L'écouter :

Enfin, parmi les compositeurs contemporains, citons Alfred Schnittke. L'écouter :



Le menuet présente deux formes différentes suivant qu’il appartienne au XVIIe ou au XVIIIe siècle. A l’époque Baroque, sa forme est composée de deux parties. Ecoutons la première partie d’un menuet de Lully ; nous entendrons quatre fois la même phrase mélodique Exemple :

Et maintenant la deuxième partie, qui se compose de deux autres phrases mélodiques suivies d’une cadence.
Exemple :

A l’époque des Viennois, Haydn, Mozart ou Beethoven, le menuet devient ternaire, c’est-à-dire à trois parties, dont la troisième est en fait la reprise, parfois variée, de la première. La deuxième partie, celle du milieu contraste toujours avec les deux autres, principalement par le timbre ; elle est en général plus douce.
Ecouter la première partie d’un menuet pour orchestre de Haydn.

A présent, la deuxième partie, qui est bien plus calme et douce. Cette deuxième partie est également appelée Trio.
Ecouter le trio :
Puis la troisième partie, qui est donc la reprise de la première. Ecouter la reprise :

Cette troisième partie est plus courte, car les différentes phrases qui la composent ne sont pas répétées. En d’autres termes, il n’y a pas de reprise, contrairement à la première partie.
Réécouter l’ensemble.

Mais qu'est-ce qu'une pulsation binaire ou ternaire ?
Il s’agit là de la décomposition de la mesure. Une mesure est ternaire si elle est battue à trois temps, 1-2-3, 1-2-3, comme dans une valse. Une mesure est binaire lorsqu’elle est battue à deux temps, 1-2, 1-2, ou des multiples, bien sûr, 1-2-3-4, 1-2-3-4.
Exemple dans la symphonie 18 de Mozart :


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