LA PEINTURE

 

Propos tirés du webinaire de Cristina Catalano, conférencière à la RMN (Réunion des Musée nationaux) - Grand Palais à Paris,

Créer au féminin

L’art est longtemps resté réservé aux hommes, mais les femmes artistes existent depuis toujours. Déjà dans l’œuvre de Pline l’Ancien « Histoire naturelle (Naturalis Historia), Pline l’Ancien cite Lala de Cyzique, peintre célèbre pour ses portraits à Rome (700 portraits vers 74 av. J-C). Les portraits ont tous disparu. La plupart des femmes artistes étaient nées dans des milieux et familles artistiques (l’apprentissage n’étant pas possible ailleurs), ou dans des couvents ou elles étaient nobles (elles ont accès à l’éducation).
Pourquoi aussi peu d’œuvres sont-elles parvenues jusqu’à nos jours ?
Au Moyen Age, les femmes étaient d’excellentes créatrices (fileuses de soie, brodeuses, enlumineuses, tapissières, mais les œuvres de ce type ne sont pas signées). Ainsi, ces œuvres tombent dans l’oubli.
Parallèlement, la coutume veut aussi que les femmes abandonnent leurs noms de famille. Il reste à la signature le nom de famille et une initiale. Il est alors impossible de les reconnaître. Ainsi on les attribuait aux hommes, (mari, père).

Pour des raisons historiques et culturelles, les femmes ont très peu accès à l’apprentissage. Elles n’ont pas le droit de fréquenter des académies ou ateliers.
Les historiens appellent le renoncement, le phénomène social qui exclu les femmes. Au nom des attentes sociales et des traditions, nombreuses sont les artistes qui ont cessé de pratiquer une fois mariées.
Les critiques étaient très dures envers les femmes qui exposaient. Donc… renoncement. Elles exposent peu, donc entrent peu dans le marché de l’art. De plus, l’usure s’ajoute (tapisserie, broderie, toiles, tableaux, lumière…) ; il ne reste presque rien. Aujourd’hui on a très peu d’œuvres d’art à disposition.

I. Sortir de l'Ombre : du Moyen Age à la Renaissance.

1. Au Moyen Age

Les béguines, à Liège, au début du XIIième. A Paris on en trouve. Ce sont des femmes venues de leur plein gré en communauté. Laïques, célibataires, ou veuves. Elles disposent d’une grande liberté. Il y a certes une empreinte religieuse mais elles sont émancipées.
Pratique artistique, pas de quotidien religieux, donc du temps libre.
Choix du célibat ou de la virginité. Certaines ont leur propre maison et se retrouvent en communauté. Elles commercent en Europe. Elles sont puissantes. Elles gagnent bien leur vie.
Mais cela suscite les jalousies (chez les hommes) - indignation des pouvoirs.
Au début, elles ont le soutien du roi, mais après, sont persécutées. En France, une béguine est envoyée au bûcher (en 1310, Marguerite Porète, écrivaine importante). En 1311, Concile de Vienne et coup d’arrêt de ce béguinage en France. Mais pas en Belgique. La dernière y est morte en 2013 !
En France, dès le XIVième siècle, jusqu’au XVIIième et aujourd’hui, il y a une transition en marche, qui nous mène du féodalisme au capitalisme d’aujourd’hui : il faut exclure les femmes des ateliers et des corporations. Les hommes font même des grèves pour empêcher qu’elles travaillent. Ainsi, petit à petit elles deviennent plutôt femmes au foyer. En fait, les paysans qui perdent leurs terres ont peur de ne pas avoir assez d’argent et de voir le foyer domestique s’écrouler et la répartition des tâches devient plus stricte. L’homme travaille et la femme s’occupe du foyer. Certaines femmes sont démonisées (sage-femme, médecin, guérisseuses) et sont en proie aux chasses aux sorcières. Elles sont donc entièrement poussées vers les foyers.
Mais d’autres femmes travaillent dans le cercle familial (enluminure, atelier Richard et Jeanne Montbaston). Le couple s’est spécialisé dans l’enluminure. Le mari meurt et Jeanne hérite et devient enlumineuse. C’est probablement elle qui fait les enluminures, puisqu’il est mort.

Jeanne de Montbaston

Guda, au milieu XIIième  est une artiste religieuse, en Rhénanie. Elle réalise des enluminures de manuscrit. La vie cloitrée offrait la possibilité de l’étude et de la pratique de l’art. Elle illustre l’Homéliaire de Saint-Barthélémy. Elle signe « Guda, pécheresse, a écrit et enluminé ce livre ». Pécheresse = humilité. Il est écrit en latin. L’un des premiers autoportraits signés dans l’histoire (parvenu jusqu’à nous).

Guda

Herrade de Landsberg, abbaye de Hohenbourg, 1125-1195, couvent du mont Saint-Odile. Elle est tellement connue qu’elle est représentée parmi les personnes importantes de la chapelle. Abbesse, enlumineuse, encyclopédiste. Elle devient célèbre grâce au Hortus deliciarum, l’échelle des vertus, première encyclopédie parvenue. Ouvrage didactique. 300 dessins. Manuscrit brûlé en 1870 à Strasbourg. Restent les copies.  A voir plus loin avec Hildegard von Bingen

Hildegarde von Bingen, (1098-1171) religieuse bénédictine, en Rhénanie, illustratrice de manuscrits, médecin et compositrice. Guérisseuse très renommée. Elle combinait la médecine des savants du passé mais aussi locale et populaire. A écrit des ouvrages de médecine.

A découvrir ! Hildegarde Von Bingen

Christine de Pizan, 1364-1431, poétesse, enlumineuse, écrivaine, l’une des premières féministes de l’histoire. Elle écrit pour défendre les femmes. Née à Venise. Vit à la cour de Charles V, astrologue-médecin connu. Education privilégiée. Elle écrit d’abord une littérature courtoise, puis ensuite met en avant ses idées. « La cité des dames », récit allégorique paru et 1405 à Paris. Elle rassemble des femmes illustres du passé et contemporaines. Elle répond en débat aux passages misogyne et cyniques (Roman de la Rose, par exemple). Elle refuse la condamnation femme = pécheresse, diable, femme inférieures, violée, violentée…
Christine de Pizan cite une autre artiste : Anastaise.
Elle parle d’Anastaise (dans la Cité des dames) : À propos de ces femmes maîtresses dans l’art de la peinture dont vous avez parlé, j’en connais une aujourd’hui, nommée Anastaise, qui maîtrise si bien la réalisation des rinceaux de vigne enluminés dans les livres et les fonds ornés des miniatures, qu’on ne connaît à Paris, où sont les meilleurs enlumineurs du monde, aucun qui la surpasse ni qui fasse plus délicatement qu’elle le décor floral et les filigranes et dont le travail soit plus coûteux, quelle que soit la valeur ou le prix du livre qu’on lui demande d’enluminer, pour qui en a les moyens. Et je sais cela d’expérience car elle a réalisé pour moi-même des rinceaux de vigne qui passent pour remarquables parmi ceux des meilleurs enlumineurs.

Christine de Pizan

 

2. A la Renaissance

De nombreuses femmes travaillent dans des ateliers mais sont toujours dirigés par des hommes. Les femmes font souvent des portraits et la nature, mais jamais d’anatomie, car ces cours-là sont réservés aux hommes. (Pas comme Michel-Ange qui étudie des corps nus !)
Il reste l’apprentissage dans le cercle familial et les ateliers privés.

Properzia de Rossi, 1490-1530, Bologne, première sculptrice. Transgresse les codes. N’est ni religieuse, ni aristocrate. Elle exerce en tant que professionnelle. Son unique œuvre connue est Joseph et la femme de Putiphar, 1525, Cathédrale San Petronio de Bologne. L’amour désespéré d’une femme pour Joseph (Bible). Ici, la femme est au centre ! Elle ne veut pas que son amour se sauve. Il y a une tension amoureuse.
Elle travaillait dans un atelier. Mais avait des problèmes (relatés par Vasari) : elle a subi du discrédit ce qui l’a fait sortir de la fabrique de San Petronio. L’un des artistes ne la veulent pas

Properzia de Rossi


Plautilla Nelli
, 1523-1588, famille aisée florentine. Famille très connue. Entre au couvent à 14 ans. Elle va diriger le couvent. Couvent très important, puisqu’il y a plusieurs sœurs peintres. Atelier d’artistes femmes dans ce couvent. Œuvre religieuses importantes. Déploration du Christ. Dimensions spirituelles. Très compétente. Le dernier souper (la Cena), 7 mètres de long, 1568, Basilique Santa Maria Novella, Florence.

Plautilla Nelli


Sofonisba Anguissola, 1532-1625 (93 ans !). Née dans la petite noblesse de Crémone. Père humaniste. Grande culture aux filles. Son père la soutient. Autoportrait au chevalet. Autoportrait à l’épinette, vers 1555. Beaucoup de psychologie dans les portraits.
Elle ne reçoit aucune commande : c’est le père qui transmet. Règle de la noblesse. Citée par Vasari aussi.


Sofonisba Anguissola

 

II. S'imposer envers et contre tout : 1600-1780

La création des Académies
Renaissance = création d’Académies (fin XVième : Académies littéraires, philosophiques…) Références à Platon : Académie = nom d’un quartier où il enseignait. Académies artistiques au milieu XVIième. Sortir des cadres contraignants des corporations. Corporations = maîtrise technique. Académie = maîtrise artistique. Académies créées sous l’autorité d’un souverain (Louis XIV en France). Charles Le Brun, premier peintre du roi et directeur de l’Académie.
Pour entrer dans une Académie, il faut présenter un ou plusieurs tableaux : c'est la réception. (= chef d’œuvre dans les corporations).
Les femmes étaient autorisées à entrer dans les Académies et corporations, mais au compte-goutte. 15 femmes reçues sur 500 hommes
Portrait de Le Brun (à droite, un dessin). Or le dessin, c'est la partie la plus intellectuelle. La base

Portrait de Le Brun

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La première Académie en Europe, c’est en 1563 à Florence, l’Académie de l’art du dessin.
Sur la table, des réductions d’après des antiques célèbres. L'apprentissage se fait en dessinant des copies d’antiques ou de modèles vivants (convention depuis l’Antiquité, représentation des dieux nus, donc on reproduit ce schéma du nu à la Renaissance, ce qui sera un frein pour les femmes.)
Rosalba Carriera, 1675-1757, Nymphe de la suite d’Apollon, 1721, (portrait de réception) énorme succès comme portraitiste. Portraits au pastel. A beaucoup voyagé. Le tout Paris voulait son portrait. Sujet noble (antiquité). Elle a appris le nu toute seule.

Rosalba Carriera


Contraintes caractéristiques de la peinture d’histoire, qui regroupe les sujets mythologiques, allégoriques, ceux qui demandent une certaine culture et l’apprentissage du nu. Certaines femmes ont appris le nu dans des ateliers privés ou dans un cercle familial (souvent filles de peintres). Exemples : Elizabeth Sophie Chéron, 1648-1711, Femme assise, tête de profil à droite, homme étendu, le front sanglant. Portraitiste. Il reste peu de tableaux d’elle. Fille d’Henri Chéron, peintre. Musicienne aussi. Traductrice. Très cultivée.

Elizabeth Sophie Chéron

 

III. A la conquête de la peinture d'histoire

Artemisia Gentileschi, née à Rome, 1593-1652/53, La charité. Dieu sur les nuages. Danae. Fille d’un peintre célèbre : Orazio Gentileschi, élève et suiveur du Caravage. Suit un apprentissage chez un peintre, Agostino Tassi, qui la viole alors qu'elle a 17 ans. S'en suit un procès et Artemisia est torturée pour savoir si elle dit bien la vérité. Tassi n’a jamais été inquiété.
Elle représente surtout des nus. Après le procès, elle épouse un peintre florentin et ils s’installent à Florence. Elle est reçue à l’Académie du dessin. Judith décapitant Holopherne, 1621, thème biblique. Thème fréquent à cette époque. Dans le Livre de Judith. Une Eglise triomphante face à l’hérésie protestante (qui ne retient pas le Livre de Judith). Holopherne = portrait de Tassi. La servante est rajeunie aussi. Vengeance dans ce tableau. On peut comparer avec le Caravage 25 ans avant. Contraste à la Caravage. Très célèbre de son vivant, redécouverte il y a 50 ans.

Artemisia Gentileschi


Bologne : Elisabetta Sirani. Porcia se blessant la cuisse. 1664. Se blesse exprès pour preuve de courage. Pour montrer le courage des femmes. Devant, courage, et derrière femmes traditionnelles au foyer. Parfois on ne croyait pas que les femmes peignaient. Elisbetta Sirani a dû peindre en public pour montrer que c’était bien elle.
Timoclée jetant le capitaine thrace dans le puits. 1659. Souligne le courage des femmes dans l’histoire. 

Elisabetta Sirani


Giulia Lama, Venise, 1681-1747. Collègues hommes un peu hostiles. Le Martyre de Saint-Jean évangéliste 1720. Maîtrise du nu. Apprentissage dans l’atelier familial. Maîtrise de la lumière : Judith et Holopherne, 1730.

Giulia Lama


Josefa de Obidos, 1630-1684, Portugal. A la tête de l’atelier familial après le mort de son père. L’agonie de Sainte Marie-Madeleine, 1679

Josefa de Obidos

 

IV. Portraits et autoportraits

De nombreuses femmes, indépendantes financièrement, s’affirmer en tant qu’artistes.

Artemisia Gentileschi. Autoportraits déguisés (allégories). Autoportrait en Sainte-Catherine d’Alexandrie 1615-1617. Sainte martyrisée, supplice de la roue. Rappel sa torture.
Rosalba Carriera (pas née dans un milieu artistique, a rencontré un peintre français à Venise et s’est initiée. Elle entre dans un atelier d’un peintre italien et lance la mode du pastel sur papier) représentée en hiver. Autoportrait en personnification de l’hiver. Velouté de la fourrure. Perd la vue à la fin de sa vie.
Jeune femme au perroquet, 1730. Gustave Hamilton, second vicomte Boyne en costume de mascarade, 1730.
Chéron. Autoportrait (qui présente aussi un dessin !)

Judith Leyster, 1600-1660, Pays-Bas, rare peintre non née dans un milieu artistique, fille de brasseur. Se lance dans la peinture à la mort du père. Siècle d’or de la peinture nordique. Subvient aux besoins de la famille. Visage très expressif. Montre sa maîtrise technique. 

Judith Leyster

Marianne Loir, portrait de Madame du Châtelet, 1742. Pas d’apprentissage dans les ateliers.

Marianne Loir

 

V. Scènes de genre et natures mortes

Natures mortes, vie quotidienne. Démarrent aux Pays-Bas puis se répandent. On trouve souvent une morale dans le tableau.

Judith Leyster, Haarlem, La joyeuse compagnie, 1630. Quelles intentions de la femme ? Après son mariage avec le peintre Jan Molenaer. On ne trouve plus d’œuvre signée ! Bizarre ! Oubliée après sa mort. Ses œuvres attribuées ensuite à son mari.

Louise Moillon, 1610-1696, protestante, la marchande de fruits et légumes, 1630, au Louvre.
Représenter de l’argent dans un tableau peut augmenter son prix !

Louise Moillon


La sculpture est rare chez les femmes. Elle est considérée comme virile et nécessite une force physique.
Marie-Anne Collot, 1748-1821, milieu modeste. Pose d’abord puis travaille avec Etienne Maurice Falconet ensuite. Refusée à l’Académie de France mais admise à l’Académie de Russie.  

Marie-Anne Collot